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Zelandoni tendit à Ayla l’un de ces gobelets en roseau étroitement tressé confectionnés tout spécialement pour la fête, rempli presque à ras bord d’une concoction d’herbes connues pour être relaxantes. Elle en posa un autre sur une table basse avant d’aller prendre place sur le grand tabouret proche de celui sur lequel était installée Ayla. Les deux femmes étaient seules dans le vaste local de la Zelandonia si l’on exceptait l’homme inconscient qui reposait non loin, sur une litière, le visage enveloppé dans des peaux de bêtes assouplies qui maintenaient en place plusieurs emplâtres. Des lampes éclairaient le blessé d’une lueur chaude mais pas trop intense, deux autres étaient disposées sur la table basse à côté des gobelets de tisane.

— Je ne l’ai jamais vu dans cet état, dit Ayla. Mais pourquoi a-t-il fait ça, Zelandoni ?

— Parce que tu étais avec Laramar.

— Mais c’était dans le cadre d’une Fête de la Mère. Je suis Zelandoni, désormais. On attend de moi que je partage le Don de la Mère lors des Fêtes données en Son honneur, non ? demanda la jeune femme.

— Tout le monde est censé honorer la Mère durant les Fêtes que l’on donne pour Elle, et tu ne t’en es jamais privée, mais jamais jusqu’alors avec un autre homme que Jondalar, lui rappela la Première.

— Mais le fait que je ne l’aie jamais fait auparavant ne devrait pas faire la moindre différence. Après tout, il s’est accouplé avec Marona, lâcha Ayla.

À son ton, Zelandoni décela qu’elle était sur la défensive.

— C’est vrai, mais tu n’étais pas disponible lorsqu’il l’a fait. Tu n’ignores pas que les hommes partagent souvent le Don des Plaisirs accordé par la Mère avec d’autres femmes lorsque leurs compagnes ne se trouvent pas à portée immédiate, n’est-ce pas ? demanda la Première.

— Non, bien sûr, admit Ayla en baissant les yeux et en avalant une gorgée de tisane.

— Est-ce que l’idée que Jondalar choisisse une autre femme te dérange, Ayla ?

— Eh bien, en fait il n’en a jamais choisi d’autre. Pas depuis que je le connais, ajouta Ayla, regardant la Première avec une inquiétude non feinte. Comment pouvais-je le méconnaître à ce point ? Je n’arrive pas à croire qu’il ait fait ça. Jamais je ne l’aurais cru si je n’en avais pas été témoin. D’abord il batifole avec Marona… et je découvre que c’est le cas depuis un bon bout de temps. Puis il… Mais pourquoi Marona ?

— Réagirais-tu différemment s’il s’agissait de quelqu’un d’autre ?

La jeune femme baissa une fois de plus les yeux.

— Je ne sais pas, avoua-t-elle avant de les lever de nouveau vers Zelandoni. Pourquoi n’est-il pas venu me trouver s’il souhaitait satisfaire ses désirs ? Je ne me suis jamais refusée à lui. Jamais.

— C’est peut-être ça la raison. Peut-être savait-il que tu étais fatiguée, ou profondément investie dans un apprentissage quelconque ; dès lors, il n’a pas voulu s’imposer à toi, sachant que tu ne le refuserais pas, expliqua Zelandoni. Il y a eu des moments où on te demandait de renoncer à un certain nombre de choses pendant un temps. Plaisirs, nourriture, eau, même.

— Mais pourquoi Marona ? Si ç’avait été une autre, n’importe quelle autre, je crois que j’aurais compris. Je n’aurais peut-être pas apprécié, mais j’aurais compris. Pourquoi cette femme précisément ?

— Peut-être parce qu’elle s’est offerte, avança Zelandoni qui, devant l’air stupéfait d’Ayla, poursuivit son explication : Tout le monde a bien vu que ni toi ni Jondalar ne choisissiez un autre partenaire, Ayla, pas même durant les Fêtes de la Mère. Avant qu’il ne parte, Jondalar était toujours disponible, en particulier à l’époque. Son appétit était tel qu’il était rare qu’une seule femme parvienne à le satisfaire. Il donnait l’impression de ne jamais être complètement rassasié, jusqu’à ce qu’il réapparaisse avec toi. Peu après son retour, les femmes ont cessé de le solliciter. Si une personne ne se rend pas disponible, on cesse de lui faire des propositions. La plupart des femmes n’aiment pas qu’on leur oppose un refus. Marona, elle, s’en moquait. Dans la mesure où il lui était facile d’avoir tous les hommes qu’elle voulait, un refus représentait pour elle un défi. À mon avis, Jondalar est devenu pour elle un défi très particulier.

— Je n’arrive pas à croire que je le connais si mal, dit Ayla en secouant la tête. Zelandoni, il a failli tuer Laramar, poursuivit-elle après une nouvelle gorgée d’infusion. Son visage ne sera plus jamais le même. Si Danug n’avait pas été là, je ne suis pas certaine que Laramar serait encore en vie. Personne d’autre n’aurait pu l’arrêter.

— C’était l’une des conséquences que je redoutais après que nous avons révélé aux gens le rôle joué par l’homme dans la conception d’une nouvelle vie. Mais je ne m’attendais pas à ce que cela se passe de cette façon, ni si tôt. Je savais que des problèmes se poseraient avec les hommes dès lors que ceux-ci disposeraient de l’information, mais je pensais que nous aurions un peu plus de temps devant nous pour nous préparer.

— Je ne comprends pas, dit Ayla en fronçant une fois de plus les sourcils. J’aurais pensé que les hommes seraient contents de savoir qu’on avait besoin d’eux pour qu’une nouvelle vie commence, qu’ils étaient aussi indispensables que les femmes, et que c’était pour cette raison que la Mère les avait créés.

— Ils seront peut-être contents, mais une fois qu’ils auront compris ce qui en découle, ils voudront sans doute s’assurer que les enfants de leur foyer sont plus que ceux de leur compagne. Ils souhaiteront peut-être avoir la certitude que les enfants aux besoins desquels ils pourvoient viennent bien d’eux.

— Mais pourquoi cela aurait-il de l’importance ? Ça n’en a jamais eu jusqu’à présent. Les hommes ont toujours veillé à procurer ce dont ils avaient besoin aux enfants de leurs compagnes. La plupart étaient satisfaits quand celles-ci apportaient des enfants à leurs foyers. Pourquoi voudraient-ils soudain ne s’occuper que des leurs ? s’étonna Ayla.

— Cela peut très bien devenir une simple question d’orgueil. Ils risquent de se croire propriétaires de leurs compagnes et de leurs enfants.

Ayla but une gorge de tisane et réfléchit un moment, le front plissé.

— Comment pourraient-ils avoir la certitude que ce sont bien les leurs ? C’est la femme qui donne la vie. La seule chose qu’un homme puisse savoir avec certitude, c’est qu’un bébé est l’enfant de sa compagne.

— La seule façon dont un homme peut avoir cette certitude, c’est si sa compagne ne partage les Plaisirs qu’avec lui, expliqua Zelandoni. Comme toi, Ayla.

Les plis se creusèrent plus profondément sur le front de la jeune femme.

— Mais les Fêtes de la Mère, alors ? La plupart des femmes les attendent avec impatience. Elles souhaitent honorer la Mère, partager le Don des Plaisirs qu’Elle leur a accordé, avec plus d’un homme.

— Oui, c’est en effet le cas de la plupart des femmes, ainsi que des hommes, d’ailleurs. Cela ajoute du piment et de l’intérêt à leur existence. Et dans leur grande majorité, les femmes souhaitent également avoir un compagnon qui aide à prendre soin de leurs enfants, ajouta Zelandoni.

— Mais certaines n’ont pas de compagnon, fit remarquer Ayla. Leurs mères, leurs tantes, leurs frères leur apportent leur aide, en particulier lorsqu’elles ont un nouveau-né. Même la Caverne aide les femmes à prendre soin de leurs enfants. On a toujours pourvu aux besoins des enfants.

— C’est vrai, mais les choses peuvent changer. On a connu dans le passé des années difficiles, où les animaux se faisaient plus rares et les plantes dont on pouvait se nourrir moins abondantes. Quand il commence à y avoir pénurie, certaines personnes sont parfois moins enclines à partager. Si tu n’avais assez de nourriture que pour un unique enfant, auquel souhaiterais-tu la donner ?

— Je serais prête à donner ma propre nourriture à n’importe quel enfant, répondit Ayla.

— Durant un moment, peut-être. La plupart des gens en feraient autant. Mais pendant combien de temps ? Si tu ne mangeais rien, tu deviendrais faible, et malade. Qui alors s’occuperait de ton enfant ?

— Jonda… commença Ayla avant de s’arrêter net et de porter la main à sa bouche.

— Eh oui.

— Mais Marthona nous viendrait en aide, Willamar aussi, et même Folara. Et l’ensemble de la Neuvième Caverne apporterait aussi son soutien ! lança la jeune femme avec force.

— C’est vrai. Marthona et Willamar donneraient un coup de main, en tout cas aussi longtemps qu’ils seraient capables de le faire. Mais tu sais que Marthona ne va pas très bien, quant à Willamar, il ne rajeunit pas. Folara va devenir la compagne d’Aldanor à l’occasion des dernières Matrimoniales de cette saison. Lorsqu’elle aura un bébé à elle, qui nourrira-t-elle en premier ?

— Jamais la situation ne se présente aussi mal, Zelandoni. Il arrive que l’on manque de certaines choses au printemps, mais l’on trouve toujours de quoi se nourrir, rétorqua Ayla.

— J’espère que ce sera toujours le cas, il n’empêche qu’une femme se sent en général plus en sécurité si elle a un compagnon pour lui venir en aide.

— Il arrive que deux femmes partagent un foyer. Dans ce cas, elles s’aident mutuellement pour leurs enfants, poursuivit Ayla, qui pensait au peuple d’Aldanor, les S’Armunaï, et à Attaroa, qui avait essayé de se débarrasser de tous les individus mâles.

— Et elles peuvent devenir compagnes l’une pour l’autre. Il est toujours préférable d’avoir quelqu’un non loin pour donner un coup de main, quelqu’un qui s’intéresse à l’autre, mais la grande majorité des femmes préfère les hommes. C’est ainsi que la Mère a créé la plupart d’entre nous, et tu nous as dit pourquoi, Ayla.

La jeune femme jeta un coup d’œil vers l’homme alité.

— Mais si tu savais que tout allait changer, Zelandoni, pourquoi as-tu laissé faire ? s’étonna Ayla. Tu es la Première. Tu aurais pu tout arrêter…

— Peut-être, pendant un temps. Mais la Mère ne t’aurait jamais rien confié si Elle n’avait pas souhaité que Ses enfants soient informés. Et une fois qu’Elle avait pris cette décision, cela devenait inévitable. Il aurait été impossible de garder le secret. Quand une vérité est prête à être dévoilée, on peut retarder sa divulgation, mais il est impossible de l’arrêter, expliqua Zelandoni.

Ayla ferma les paupières, plongée dans ses réflexions, et finit par dire, les larmes aux yeux :

— Jondalar était si… si furieux. Si violent.

— La violence est présente en lui depuis toujours, Ayla. Elle l’est chez la plupart des hommes. Tu es au courant de ce que Jondalar a fait à Madroman, et il n’était alors guère plus qu’un jeune garçon. Il a tout simplement appris à la garder sous contrôle, la plupart du temps.

— Mais il ne pouvait pas s’arrêter de le frapper. Il a failli tuer Laramar. Pourquoi ?

— Parce que c’est lui que tu avais choisi, Ayla. Tout le monde a entendu Jondalar hurler « Il est en train de faire mon bébé ! ». Tu peux être certaine qu’aucun homme n’a oublié ces mots. Mais d’ailleurs, pourquoi as-tu choisi Laramar ?

Ayla baissa la tête et des larmes coulèrent sur son visage.

— Parce que Jondalar avait choisi Marona, finit-elle par avouer, secouée de sanglots silencieux.

Les larmes qu’elle avait si longtemps contenues avaient rompu leur digue et elle était incapable d’en arrêter le flot.

— Oh, Zelandoni, j’ignorais ce qu’était la jalousie jusqu’à ce moment où je les ai vus tous les deux. Je venais de perdre mon bébé, je n’arrêtais pas de penser à Jondalar, j’avais hâte de le retrouver et peut-être de faire un nouveau bébé avec lui. Ça m’a fait si mal de le voir avec Marona, ça m’a mise tellement en colère que j’ai eu envie de le faire souffrir à son tour.

La Première prit un morceau de tissu souple, destiné à panser les plaies, et le tendit à la jeune femme pour qu’elle sèche ses yeux et son nez.

— Ensuite, il a refusé de me parler. Il ne m’a pas dit qu’il était désolé que j’aie perdu le bébé. Il ne m’a pas prise dans ses bras pour me consoler. Il ne m’a même pas touchée, pas une seule fois. Il ne m’a pas dit un mot. C’est ce qui m’a fait le plus mal : qu’il refuse de me parler. Il ne m’a même pas laissé l’occasion d’exprimer ma colère. De lui dire ce que je ressentais. Je n’étais même plus sûre qu’il m’aimait toujours… Lorsqu’il m’a vue à la fête, poursuivit-elle après avoir reniflé et séché ses pleurs, il est enfin venu me voir pour me dire qu’il voulait me parler. Il se trouve que Laramar était tout près. Je sais que Jondalar n’a aucun respect pour lui. Il n’y a pas d’homme pour qui il ressente plus d’antipathie. Il estime que Laramar traite mal sa compagne et ses enfants, mais pas seulement : que d’autres font de même à cause de lui. Je savais que si je choisissais Laramar cela rendrait Jondalar furieux, que cela le blesserait terriblement. Mais je ne me doutais pas qu’il deviendrait si brutal, qu’il essaierait de le tuer.

Zelandoni tendit les bras vers Ayla et l’attira contre elle.

— Je pensais bien qu’il s’agissait de quelque chose de ce genre, dit-elle, tapotant le dos de la jeune femme en pleurs, tout en réfléchissant à ce qu’elle venait d’entendre.

J’aurais dû être plus attentive, se dit-elle. Je savais qu’elle venait de perdre son bébé, ce qui entraîne chez toute femme qui en est victime des accès de mélancolie, et je savais que, comme à son habitude, Jondalar était incapable de maîtriser ce genre de situation. Mais Ayla me donnait l’impression d’avoir surmonté ce moment difficile. Je savais qu’elle était contrariée à propos de Jondalar, mais j’ignorais à quel point. J’aurais dû le comprendre, mais il est difficile de la jauger. J’ai été surprise qu’elle soit appelée. Je ne la croyais pas tout à fait prête, mais j’ai su qu’elle avait été appelée dès que je l’ai vue.

Je pensais qu’elle traversait une passe délicate, surtout avec la perte de son bébé, mais elle s’est toujours montrée si forte. Je n’ai pas apprécié à quel point elle était affectée jusqu’à ce que j’en parle avec Marthona. Et lorsqu’elle a fait savoir à l’ensemble de la Zelandonia qu’elle avait été appelée – ce qui m’a surprise –, j’ai compris qu’il fallait prendre des mesures sans plus attendre. J’aurais dû en parler d’abord avec elle, ce qui m’aurait permis de comprendre à quoi m’attendre, et m’aurait laissé le temps de réfléchir à toutes les implications. Il est vrai qu’il se passe tellement de choses durant ces Réunions d’Été… Mais ça n’est pas une excuse. J’aurais dû être là pour l’aider, pour les aider tous les deux, et ça n’a pas été le cas. Je dois accepter la responsabilité d’une large part de toute cette malheureuse affaire.

Appuyée contre la douce épaule de la Première, le corps agité de sanglots et le visage baigné de ces pleurs qu’elle avait si longtemps retenus, Ayla ne cessait de penser à la question que venait de poser Zelandoni.

Pourquoi donc ai-je choisi Laramar ? Pourquoi ai-je choisi le pire représentant des hommes de la Caverne, et peut-être même de tous ceux qui participent à la Réunion d’Été ?

Jamais je n’ai connu une Réunion aussi horrible, se dit-elle. Au lieu de m’y précipiter, j’aurais bien mieux fait de ne pas y venir du tout. Ce qui m’aurait permis de ne pas voir Jondalar et Marona ensemble. Si je ne les avais pas vus de mes yeux, si quelqu’un s’était contenté de m’en informer, cela serait mieux passé. J’aurais été furieuse, certes, mais au moins je ne les aurais pas vus.

Peut-être que c’est ce qui m’a fait choisir Laramar, ce qui m’a donné envie de faire souffrir Jondalar. Je voulais qu’il connaisse ce que j’avais moi-même ressenti. À quel stade en suis-je arrivée, pour vouloir me venger, faire du mal ? Est-ce digne d’une Zelandoni ? Si je l’aimais à ce point, pourquoi aurais-je voulu lui faire du mal ? Parce que j’étais jalouse. Je comprends maintenant pourquoi les Zelandonii s’efforcent d’enrayer ce sentiment.

La jalousie est quelque chose de terrible. Je n’avais aucun droit de me sentir si blessée. Jondalar ne faisait rien de mal. C’était son droit de choisir Marona s’il le souhaitait. Il ne rompait pas son engagement, il continuait de contribuer aux besoins du foyer, d’aider à pourvoir aux miens et à ceux de Jonayla. Il est toujours allé au-delà de ce qu’il devait faire. Il s’est sans doute plus que moi occupé de Jonayla. Je sais qu’il n’a jamais cessé de se reprocher ce qu’il avait fait subir à Madroman quand il était plus jeune. Il continue de s’en vouloir terriblement, et il doit maintenant être profondément abattu. Et puis que va-t-il lui arriver, désormais ? Quel sort lui réserve la Neuvième Caverne ? Ou la Zelandonia, ou tous les Zelandonii, pour avoir fait frôler la mort à Laramar ?

La jeune femme alla se rasseoir, s’essuya les yeux et le nez, reprit sa tasse de tisane. Zelandoni se prit à espérer que cet épanchement lui avait fait du bien, mais le cerveau d’Ayla était toujours en ébullition.

Tout est de ma faute, se disait-elle.

Elle continua de boire sa tisane désormais froide, sans se rendre compte qu’elle s’était remise à pleurer.

Laramar est grièvement blessé, il ne sera plus jamais le même, et cela à cause de moi. Jamais il ne se serait retrouvé dans cet état si je ne l’avais pas encouragé, enjôlé, en lui faisant croire que je le désirais.

Et pourtant, elle avait dû se contraindre pour en arriver là. L’idée même que ses mains sales, humides de sueur, l’avaient touchée lui faisait horreur. Elle en avait la chair de poule, des démangeaisons, se sentait couverte d’une crasse dont elle était incapable de se débarrasser alors même qu’elle s’était lavée des pieds à la tête, récurée jusqu’au sang. En outre, alors même qu’elle savait que c’était dangereux, elle avait bu une décoction de feuilles de gui et d’herbes diverses qui l’avait fait vomir et lui avait donné des crampes douloureuses, afin d’expulser tout ce qui avait peut-être été entamé. Mais rien de tout ce qu’elle avait entrepris n’avait pu lui faire oublier cette affreuse sensation de Laramar la touchant, la pénétrant.

Pourquoi avait-elle fait ça ? Pour faire souffrir Jondalar ? C’était pourtant elle qui n’avait pas daigné lui consacrer ne serait-ce qu’un peu de son temps. C’était elle qui était restée debout toutes les nuits et avait passé l’essentiel de ses journées à mémoriser les chansons, les histoires, les symboles, les mots à compter. Si elle l’aimait tant, pourquoi n’avait-elle pas trouvé de temps à lui consacrer, à lui aussi ?

Était-ce parce qu’elle avait bien apprécié cette période de formation ? Car elle l’avait adorée, elle avait adoré apprendre toutes ces choses qu’il lui fallait connaître pour devenir Zelandoni. Toutes les connaissances qui pouvaient être révélées, et toutes celles qui devaient être tenues secrètes. Les symboles qui avaient un sens caché, ceux que l’on pouvait graver sur une pierre, peindre sur un tissu, tisser dans une natte. Elle connaissait leur signification. Tous les membres de la Zelandonia connaissaient leur signification. Elle pouvait adresser une pierre ornée de symboles à un autre Zelandoni, et la personne qui la transporterait ignorerait qu’elle pouvait avoir un sens, à la différence de son destinataire.

Et puis elle appréciait énormément toutes les cérémonies. Elle se rappelait à quel point elle avait été émue, impressionnée, durant la première, organisée dans les profondeurs de cette grotte, à laquelle elle avait assisté en la seule présence des membres de la Zelandonia. Elle savait maintenant comment les rendre inoubliables, impressionnantes. Elle avait appris tous les trucs, mais il ne s’agissait pas seulement de trucs. La réalité, souvent effrayante, était loin d’être absente. Elle savait que certains membres de la Zelandonia, les plus âgés en particulier, ne croyaient plus à grand-chose. Ils l’avaient pratiquée tant de fois qu’ils s’étaient habitués à leur propre magie. Tout le monde pouvait la mettre en œuvre, prétendaient-ils. C’était bien possible, mais assurément pas sans une formation préalable. Pas sans aide, pas sans les remèdes magiques.

Ayla se rappela soudain sa cérémonie d’initiation, lorsqu’elle avait entendu Celle Qui Était la Première annoncer qu’elle deviendrait un jour Première. Alors, Ayla n’en avait tenu aucun compte : elle ne pouvait pas s’imaginer devenir Première, d’autant qu’elle avait un compagnon et un enfant. Comment pouvait-on être Première et avoir dans le même temps un compagnon et un enfant ? Certains membres de la Zelandonia avaient certes des enfants, mais ils étaient peu nombreux.

Tout ce qu’elle avait vraiment désiré, depuis sa plus tendre enfance, c’était avoir un compagnon et des enfants, sa famille à elle. Iza lui avait bien dit qu’elle ne pourrait jamais avoir d’enfants, son totem, le Lion des Cavernes, était trop puissant, mais elle les avait tous surpris : elle avait eu un fils. Broud aurait été furieux s’il avait su qu’en la forçant il lui avait donné la seule chose qu’elle désirait. Mais il n’y avait pas eu de Don des Plaisirs à l’époque. Broud ne l’avait pas choisie parce qu’il s’intéressait à elle. Il la détestait. S’il l’avait forcée, c’était uniquement pour lui prouver qu’il pouvait lui faire tout ce qu’il voulait, et parce qu’il savait que cela lui faisait horreur.

Et aujourd’hui, c’était elle-même qui s’était forcée. Forcée à choisir un homme qu’elle détestait pour faire du mal à un homme qu’elle aimait. Et voilà ce qu’elle avait fait à Jondalar à cause de sa jalousie : il avait failli tuer un homme par sa faute à elle. Elle ne méritait pas sa famille. Elle n’était même pas capable de prendre soin de sa famille en tant qu’acolyte, ce serait donc encore plus difficile en tant que Zelandoni à part entière. La vie de Jondalar serait plus simple sans sa présence. Peut-être vaudrait-il mieux qu’elle le laisse reprendre sa liberté, trouver une nouvelle compagne.

D’un autre côté, pouvait-elle ne serait-ce qu’envisager de ne plus être la compagne de Jondalar ? Comment vivre sans lui ? Cette seule pensée déclencha une nouvelle crise de larmes, ce qui rendit Zelandoni perplexe : Ayla avait versé tant de pleurs qu’elle pensait que la jeune femme en avait tari la source.

Comment vivre sans Jondalar ? se demandait donc Ayla. Mais comment Jondalar pourrait-il vivre avec elle désormais ? Elle n’était pas digne de lui. Elle l’avait pratiquement poussé à donner la mort, uniquement parce qu’il avait besoin de satisfaire ses désirs. Des désirs que, manifestement, elle n’avait pas été en mesure de satisfaire. Même les femmes du Clan en étaient capables, chaque fois que leurs compagnons le souhaitaient. Oui, Jondalar méritait décidément une femme meilleure qu’elle.

Mais Jonayla ? C’était sa fille, à lui aussi, et il l’aimait tant. Il s’était occupé d’elle bien plus que sa propre mère. Elle aussi méritait d’avoir une mère meilleure qu’elle. Si je romps le lien, il pourra trouver une nouvelle compagne. Il est toujours le plus bel homme… non, le plus merveilleux de toutes les Cavernes. Tout le monde en convient. Il n’aurait aucun mal à trouver une autre femme, même moins vieille que moi. Je ne suis déjà plus toute jeune et une femme moins âgée pourrait avoir plus d’enfants avec lui. Il peut même choisir… Marona… s’il le souhaite.

Ayla avait mal rien que d’y penser, mais elle voulait se flageller, et il s’agissait là de la pire des punitions qu’elle pouvait imaginer s’infliger.

Oui, c’est ce que je vais faire. Je vais rompre le lien, confier Jonayla à Jondalar et le laisser trouver une autre femme afin de fonder une famille avec elle. Quand je serai de retour à la Neuvième Caverne, je ne reviendrai pas chez moi : j’irai m’installer chez Zelandoni, ou je me ferai construire un autre foyer, ou je déménagerai pour être Zelandoni d’une autre Caverne… à condition qu’une autre Caverne veuille bien de moi. Mais peut-être vaudrait-il mieux que je m’en aille, tout simplement, et que je trouve une autre vallée où vivre toute seule.

Zelandoni regardait le visage d’Ayla refléter toutes ces émotions fugitives, mais elle avait beaucoup de mal à les déchiffrer. Cette femme a décidément quelque chose d’insondable, se disait-elle. Mais il n’y avait aucun doute : elle deviendrait Première. Zelandoni n’avait jamais oublié ce jour chez Marthona où Ayla, jeune et non formée, n’en avait pas moins pris l’ascendant mental sur elle, la Première. Ce qui l’avait secouée plus encore qu’elle ne voulait bien se l’avouer.

— Si tu te sens mieux, nous devrions y aller, Ayla… Zelandoni de la Neuvième Caverne. Il ne faut pas que nous soyons en retard à la réunion. Nous allons devoir répondre à bon nombre de questions, surtout après ce qui vient de se passer entre Jondalar et Laramar, dit Celle Qui Était la Première parmi Ceux Qui Servent la Grande Terre Mère.

 

 

— Tu viens, Jondalar ? On doit aller à la réunion. J’ai l’intention d’y poser un certain nombre de questions, expliqua Joharran.

— Vas-y, je t’y rejoindrai, répliqua son cadet, sans faire mine de bouger de la natte sur laquelle il était assis.

— Non, Jondalar, il n’en est pas question. On m’a demandé tout spécialement de veiller à ce que tu viennes avec moi, expliqua Joharran.

— Et qui est ce « on » ?

— À ton avis ? Zelandoni et Marthona.

— Et si je ne veux pas y aller, à cette réunion ? lança Jondalar sans grande conviction.

Il se sentait affreusement malheureux et n’avait aucune envie de bouger.

— Alors je crois que je serai obligé de demander à notre ami le colosse mamutoï ici présent de t’y emmener de la même façon qu’il t’a transporté ici, répliqua son aîné en adressant à Danug un sourire sans joie.

Ils se trouvaient dans un refuge situé non loin des tentes où logeaient les familles de la Neuvième Caverne, et où s’étaient installés Danug, Druwez, Aldanor et quelques autres.

— Tu n’as pratiquement pas bougé depuis. Que tu le veuilles ou non, Jondalar, tu vas bien être obligé d’affronter les autres. Cette réunion est ouverte à tous. Personne n’abordera le problème de ta situation. Cela viendra plus tard, lorsqu’on pourra apprécier comment se remet Laramar.

— Il devrait se nettoyer un peu, intervint Solaban. Ses vêtements sont encore tout tachés de sang.

— Oui, tu as raison, approuva Joharran. As-tu l’intention de t’en occuper ou préfères-tu que quelqu’un te trempe dans l’eau ? demanda-t-il en se tournant vers son frère.

— Je m’en moque. Si tu veux qu’on me trempe, vas-y, fit Jondalar d’une voix morne.

— Jondalar, enfile une tunique propre et viens à la rivière avec moi, dit Danug, en mamutoï.

C’était une façon de faire savoir à Jondalar qu’il avait à ses côtés quelqu’un à qui il pouvait parler en privé s’il souhaitait que personne d’autre n’entende ce qu’il avait à dire, outre le fait qu’il était soulagé de parler sa propre langue plutôt que de se battre avec le vocabulaire zelandonii.

— Bien, dit Jondalar, qui se releva en poussant un profond soupir. De toute façon, tout cela n’a plus aucune importance.

De fait, il ne se souciait aucunement de ce qui risquait de lui arriver, convaincu qu’il était d’avoir perdu tout ce qui était important : sa famille, y compris Jonayla, le respect de ses amis et de son peuple, mais plus encore l’amour d’Ayla. Et il estimait avoir bien mérité de perdre tout cela.

Danug observait Jondalar, qui marchait d’un pas lourd à ses côtés, oublieux de tout ce qui l’entourait. Le jeune Mamutoï avait vu le malheur accabler les deux personnes pour lesquelles il était venu de si loin, deux êtres qu’il appréciait énormément et qui, il le savait, s’aimaient plus que tous les autres couples qu’il avait eu l’occasion de rencontrer jusqu’alors. Il aurait bien aimé trouver le moyen de leur dessiller les yeux pour qu’ils puissent découvrir ce que tout le monde savait autour d’eux, mais le fait de le leur dire ne les aiderait en rien. Il faudrait qu’ils s’en rendent compte sans intervention extérieure et, par ailleurs, ils n’étaient plus seuls en jeu : Jondalar avait grièvement blessé un homme et, sans être au fait des coutumes des Zelandonii, Danug savait que cela ne resterait pas impuni.

 

 

Zelandoni repoussa la tenture, écarta le rideau et jeta un coup d’œil rapide depuis l’issue privée bien dissimulée qui se trouvait à l’arrière du vaste local de la Zelandonia, très précisément en face de la grande entrée. Elle parcourut du regard l’espace réservé à l’assemblée, qui descendait en pente douce à flanc de colline et ouvrait sur le campement. Les participants s’y rassemblaient depuis le début de la matinée et l’endroit était désormais presque plein.

Elle avait eu raison de s’attendre à de nombreuses questions. Les gens commençaient à comprendre la signification tant de la cérémonie de la veille que de la nouvelle strophe du Chant de la Mère, mais ils n’en demeuraient pas moins dans l’incertitude : il était troublant de songer aux changements que tout cela impliquait, en particulier après ce qui venait de se passer avec Jondalar. Zelandoni jeta un nouveau coup d’œil pour s’assurer que certaines personnes étaient bien arrivées, puis attendit encore un peu pour laisser aux retardataires le temps de prendre place. Enfin, elle adressa un geste à un jeune Zelandoni qui transmit à ses semblables le signe qui voulait dire « Elle est prête », et quand tout fut au point la Première fit son apparition.

Zelandoni Qui Était la Première était une femme dont la présence ne passait pas inaperçue, et sa stature majestueuse, tant par sa taille que par sa masse, lui donnait une allure à nulle autre pareille. Elle maîtrisait par ailleurs un vaste répertoire de techniques, de tactiques et de trucs divers qui lui permettait de garder les participants aux rassemblements comme celui-là concentrés sur les points qu’elle souhaitait mettre en avant, et elle n’hésitait pas à user de tout son savoir-faire, donné et acquis, pour faire passer sa confiance, son assurance, à la foule qui la fixait avec une telle intensité.

Sachant que les gens ne craignaient pas de s’exprimer très directement, elle annonça que, les participants étant fort nombreux, la meilleure solution pour que les échanges se passent dans de bonnes conditions consistait à laisser les responsables des Cavernes, ou des membres choisis par chacune des familles présentes, poser les questions. Cela étant, si quelqu’un ressentait vivement le besoin de dire quelque chose, la personne en question ne devait pas hésiter à intervenir.

Joharran posa la première question, soulevant un point que chacun des participants souhaitait voir clarifier au plus vite :

— C’est à propos de cette nouvelle strophe : si j’ai bien compris, elle signifie que Jaradal et Sethona sont mes enfants, et pas uniquement ceux de Proleva…

— Exactement, répondit la Première. Jaradal est ton fils, et Sethona est ta fille, Joharran, autant qu’ils sont le fils et la fille de Proleva.

— Et c’est le Don du Plaisir accordé par la Grande Terre Mère qui fait que la vie commence à l’intérieur d’une femme ? intervint Brameval, le chef de la Quatorzième Caverne.

— Le Don que nous a fait Doni n’est pas seulement celui du Plaisir. C’est également le Don de la Vie.

— Mais les Plaisirs sont souvent partagés, et les femmes ne tombent pas si souvent enceintes ! lança un autre intervenant, incapable d’attendre plus longtemps.

— C’est la Grande Terre Mère qui décide, au bout du compte. Doni n’a pas cédé tout Son savoir, toutes Ses prérogatives. C’est toujours Elle qui décide quand une femme se verra gratifier d’une vie nouvelle, expliqua la Première.

— Mais alors quelle est la différence entre l’utilisation par un homme de son esprit et celle de l’essence de son organe pour concevoir un bébé ? interrogea Brameval.

— C’est très clair. Si une femme ne partage jamais les Plaisirs avec un homme, elle n’aura jamais d’enfant. Elle ne pourra pas se contenter d’espérer qu’un jour la Mère choisisse l’esprit d’un homme pour l’en gratifier. Une femme doit absolument honorer la Mère en partageant le Don des Plaisirs. L’homme doit libérer son essence à l’intérieur de son corps, afin qu’elle se mélange avec celle de la femme, exposa la Première.

— Certaines femmes ne tombent jamais enceintes, fit valoir Tormaden, le chef de la Dix-Neuvième Caverne.

— Oui, c’est exact. Je n’ai jamais eu d’enfant. J’ai pourtant honoré la Mère à de nombreuses reprises, mais je ne suis jamais tombée enceinte. J’en ignore la raison, avoua la Première. Peut-être la Mère a-t-Elle choisi de m’assigner un but différent. Je sais que j’aurais eu beaucoup de mal à servir la Mère comme je l’ai fait si j’avais eu un compagnon et des enfants. Ce qui ne veut pas dire que les membres de la Zelandonia ne doivent en aucun cas avoir d’enfants. Certains en ont et continuent de bien La servir, même s’il semble plus facile à un homme qu’à une femme de la Zelandonia d’avoir des enfants à son foyer : un homme n’a pas à porter l’enfant, à lui donner naissance ni à lui donner le sein. Certaines femmes sont en mesure de remplir ces deux tâches, de mère et de Zelandoni, en particulier si leur vocation est forte, mais à la condition qu’elles aient des compagnons et des familles qui sachent les entourer d’une grande affection et qui soient en mesure de leur apporter leur aide.

La Première remarqua que plusieurs personnes regardaient du côté de Jondalar, assis avec les visiteurs mamutoï un peu en amont de la Neuvième Caverne, et non à côté de la femme qui était sa compagne. Ayla, qui tenait Jonayla sur ses genoux, était pour sa part assise à côté de Marthona, le loup se tenant entre elles deux, dans les premiers rangs de l’assistance. Elle se trouvait près du groupe de la Neuvième Caverne, mais également à proximité des membres de la Zelandonia. La plupart des participants étaient persuadés que la vocation d’Ayla, du fait de sa maîtrise des animaux et de ses dons de guérisseuse, devait être singulièrement profonde, avant même qu’elle devienne acolyte, et jusqu’à cet été, quand tous ses ennuis avaient commencé, tout le monde savait à quel point Jondalar s’était bien occupé d’elle. Nombreux étaient ceux qui pensaient que c’était Marona, assise avec sa cousine, Wylopa, et plusieurs de ses amis de la Cinquième Caverne, qui était à l’origine de leurs problèmes, mais la situation s’était considérablement aggravée depuis lors : même si la rumeur selon laquelle Laramar avait repris conscience s’était largement répandue, seuls les membres de la Zelandonia, dans le local desquels le blessé tentait de se remettre, étaient au courant de la gravité de son état.

— Ma compagne partage le Don des Plaisirs avec d’autres hommes, pas seulement avec moi, lors des Fêtes de la Mère et des autres cérémonies en Son honneur, intervint un homme dans l’assistance.

Bon, on en vient aux questions un peu plus délicates, songea Zelandoni.

— Les Fêtes et les Cérémonies ont lieu pour des motifs sacrés, répondit-elle. Et le Partage des Plaisirs est un acte sacré, qui honore la Grande Terre Mère. Si un enfant est conçu à ce moment-là, c’est avec Son assentiment, et l’enfant en question peut être considéré comme une faveur qu’Elle accorde. Ne l’oubliez surtout pas : Doni choisit toujours quand une femme devient grosse.

Un brouhaha de commentaires divers parcourut l’assistance. Kareja, le chef de la Onzième Caverne, se leva alors pour prendre la parole.

— Willadan m’a demandé de poser une question pour lui, mais j’estime préférable qu’il s’en charge lui-même, dit-il.

— Si tu le penses, il doit en effet la poser, approuva Zelandoni.

— Ma compagne est devenue doniate un été après que nous avons noué le lien, commença l’homme. Devant son incapacité à concevoir un bébé, elle a voulu faire une offrande pour honorer la Mère et L’encourager à lui permettre d’en concevoir un. Cela a semble-t-il bien fonctionné. Elle a eu un enfant après cela, suivi depuis de trois autres. Mais j’en viens maintenant à me poser la question : est-ce que l’un ou l’autre de ces enfants vient bien de moi ?

Cette fois, il va falloir jouer finement, se dit la Première.

— Tous les enfants auxquels ta compagne a donné naissance sont les tiens, répondit-elle.

— Mais comment puis-je savoir qu’ils ont été conçus par moi et pas par un autre homme ?

— Dis-moi, Willadan, quel âge a ton premier-né ?

— Il compte douze années. C’est presque un homme maintenant, répondit l’intéressé, d’une voix emplie de fierté.

— T’es-tu réjoui quand ta compagne a été enceinte de lui, et quand il est né ?

— Oui. Nous souhaitions des enfants à notre foyer.

— Donc, tu l’aimes.

— Bien sûr que je l’aime.

— L’aimerais-tu encore plus si tu savais avec certitude que c’est ton essence qui l’a conçu ?

— Non, bien sûr que non, répondit l’homme en fronçant les sourcils, après avoir jeté un coup d’œil à son fils.

— Si tu savais que c’est ton essence qui a conçu tes autres enfants, les aimerais-tu plus ?

— Non, répondit Willadan après avoir réfléchi un moment aux implications de la question que la Première venait de lui poser. Je ne pourrais sûrement pas les aimer plus.

— En ce cas, cela fait-il une différence si l’essence qui les a conçus est venue de toi ou de quelqu’un d’autre ? demanda Zelandoni qui, voyant les rides qui barraient le front de son interlocuteur se creuser de plus en plus, n’en décida pas moins de poursuivre : Je n’ai jamais été enceinte, je n’ai jamais conçu d’enfant, même si, à une époque, j’en désirais un, plus qu’on ne peut se l’imaginer. Je suis satisfaite désormais, je sais que la Mère a choisi ce qui était le mieux pour moi. Mais il est fort possible, Willadan, que tu aies partagé le même sort que le mien. Peut-être que, pour une raison connue de Doni, et d’Elle seule, ton essence n’a pas pu concevoir un bébé avec ta compagne à ce moment-là. Mais la Grande Terre Mère, dans Sa grande sagesse, vous a accordé à toi et à ta compagne les enfants que vous désiriez. Même si ce n’était pas toi qui les avais conçus, serais-tu prêt à les rendre si tu découvrais le nom de l’homme qui aurait pu, lui, les concevoir ?

— Non. J’ai pourvu à leurs besoins depuis leur naissance, répondit Willadan.

— Exactement. Tu t’es occupé d’eux avec amour, ce sont les enfants de ton foyer, ce qui veut dire que ce sont tes enfants, Willadan.

— Ce sont en effet les enfants de mon foyer, mais tu as dit « même si » ce n’est pas moi qui les ai conçus. Est-ce que tu veux dire qu’ils auraient pu l’être par mon essence ? demanda l’homme non sans une certaine mélancolie.

— Il est fort possible que l’honneur que ta compagne a rendu à la Mère ait été accepté comme une offrande suffisante, et qu’Elle a permis à ton essence de les concevoir tous. Il est impossible de le savoir. Mais dis-moi, Willadan, si tu ne peux les aimer plus que tu ne le fais, quelle différence cela fait-il ?

— Eh bien… aucune, j’imagine.

— Il se peut qu’ils aient été conçus par ton essence comme il est possible que ça n’ait pas été le cas, poursuivit Zelandoni, mais ils seront toujours beaucoup plus que les enfants de ton foyer. Ce sont tes enfants.

— Pourrons-nous un jour en être sûrs ?

— Je l’ignore. Dans le cas d’une femme, c’est l’évidence même : elle est grosse ou elle ne l’est pas. Dans le cas d’un homme, ses enfants sont toujours les enfants de sa compagne. Il en a toujours été ainsi. Rien n’a changé. Aucun homme ne peut être certain de l’identité de celui qui a conçu les enfants de son foyer.

— Jondalar le peut, lui, fit une voix dans l’assistance.

Tout le monde se figea et se tourna vers l’homme qui venait d’intervenir. Il s’agissait de Jalodan, un jeune homme membre de la Troisième Caverne. Il était assis à côté de l’amie de Folara, Galeya, avec qui il avait noué le lien deux ans plus tôt. L’attention soudaine qu’il s’était attirée, y compris le regard sévère de Zelandoni, le fit rougir sensiblement.

— Mais si, il le peut, insista-t-il, sur la défensive. Tout le monde ici sait qu’Ayla n’a jamais choisi personne d’autre que lui, jusqu’à hier soir en tout cas. Si les enfants sont conçus à partir de l’essence de l’organe d’un homme, et qu’Ayla n’a jamais partagé les Plaisirs avec quelqu’un d’autre que Jondalar, alors l’enfant de son foyer est forcément le sien, il vient forcément de son essence. C’est pour cela qu’il s’est battu, la nuit dernière, non ? Il n’arrêtait pas de crier : « Il est en train de faire mon bébé ! » chaque fois qu’il tapait sur Laramar.

Toute l’attention s’était désormais reportée sur Jondalar, qui ne savait plus où se mettre sous le poids de tous ces regards insistants. Certains regards se portèrent sur Ayla, mais celle-ci demeurait immobile, bien droite sur son siège, les yeux baissés.

Joharran se leva brusquement.

— Jondalar ne se maîtrisait plus. Il s’est laissé aller à boire plus que de mesure, ce qui lui a brouillé la cervelle, dit-il d’un ton où perçaient à la fois le sarcasme et l’exaspération.

Il y eut des sourires et des ricanements dans l’assistance.

— Je suis prêt à parier que sa tête était encore tout embrumée lorsque le soleil s’est levé ! lança un autre homme, jeune lui aussi, non sans laisser percer une certaine admiration, comme s’il trouvait plutôt louable le comportement violent de Jondalar.

— Dans la mesure où Jondalar et Laramar sont tous deux de la Neuvième Caverne, cette affaire sera réglée par la Neuvième Caverne. Ceci n’est pas le lieu adéquat pour discuter des actes de Jondalar, ajouta Joharran pour essayer de mettre un terme au débat.

Il avait cru entendre une certaine approbation dans la voix de nombreux jeunes hommes, et voir l’un ou l’autre imiter la conduite de son frère était bien la dernière chose qu’il souhaitait.

— Avec cette différence, Jemoral, que j’ai bien peur que Jondalar ne souffre de beaucoup plus que d’un gros mal de tête, intervint Zelandoni. Cette affaire ne restera pas sans suites, et des suites sérieuses, tu peux en être sûr.

Il était difficile de reconnaître tous les participants à la réunion, mais elle s’y efforçait. Les vêtements donnaient toujours des indications précieuses, de même que les bracelets, ceintures, colliers et autres colifichets. Le jeune homme qui venait de s’exprimer était membre de la Cinquième Caverne et parent de son Zelandoni. Lui et ses semblables avaient tendance à se vêtir de façon un peu voyante et portaient de nombreux bijoux, dans la fabrication et le commerce desquels ils étaient passés maîtres. Il était assis dans les premiers rangs, ce qui avait permis à la Première de le voir assez précisément pour le reconnaître.

— Mais je crois comprendre ce qu’il a ressenti, insista Jemoral. Quel comportement dois-je adopter si je veux que l’enfant de ma compagne vienne de moi ?

— Oui, intervint un autre. C’est une bonne question.

— Et si je désire que les enfants de mon foyer soient les miens ? lança un autre.

Zelandoni attendit que le brouhaha s’apaise un peu, embrassant l’assistance du regard pour constater que la plupart des commentaires émanaient de la Cinquième Caverne. Elle fixa alors le groupe tout entier d’un regard sévère.

— Tu veux que les enfants de ton foyer soient les tiens, Jemoral ? lança-t-elle, regardant le jeune homme droit dans les yeux. Tu veux donc qu’ils t’appartiennent, comme t’appartiennent tes vêtements, tes outils, tes bijoux ?

— N… non. Je… je n’ai pas voulu dire ça, bredouilla Jemoral.

— Je suis ravie de l’entendre, car les enfants ne peuvent pas appartenir à quelqu’un. Ni à toi ni à ta compagne. Ils n’appartiennent à personne. Si nous avons des enfants, c’est pour les aimer, nous occuper d’eux, pourvoir à leurs besoins, leur apprendre des choses, comme la Mère le fait pour nous, et cela dans tous les cas, qu’ils proviennent de ton essence ou de celle d’un autre homme. Nous sommes tous les enfants de la Grande Terre Mère, et nous recevons Son enseignement. Rappelle-toi cette strophe du Chant de la Mère :

 

Femme et Homme la Mère enfanta

Et pour demeure Elle leur donna la Terre,

Ainsi que l’eau, le sol, toute la création,

Pour qu’ils s’en servent avec discernement.

Ils pouvaient en user, jamais en abuser.

 

Plusieurs membres de la Zelandonia reprirent avec la Première le dernier vers, et tous poursuivirent :

 

Aux Enfants de la Terre, la Mère accorda

Le Don de Survivre, puis Elle décida

De leur offrir celui des Plaisirs,

Qui honore la Mère par la joie de l’union.

Les Dons sont mérités quand la Mère est honorée.

 

— Elle pourvoit à nos besoins, veille sur nous, nous prodigue Son enseignement ; et en retour de Ses dons, nous L’honorons, poursuivit la Première. Le Don de la Connaissance de la Vie accordé par Doni ne l’a pas été pour te permettre d’être le propriétaire des enfants nés à ton foyer, et de prétendre qu’ils t’appartiennent. Elle nous l’a accordé afin que nous sachions que les femmes ne sont pas les seules à en avoir été gratifiées. Les hommes ont un rôle qui est aussi important que celui des femmes. Ils ne sont pas là juste pour pourvoir à leurs besoins et pour leur venir en aide, ils leur sont indispensables. Sans les hommes, il n’y aurait pas d’enfants. Cela ne te suffit-il pas ? Tes enfants doivent-ils absolument être les tiens ? Dois-tu en être propriétaire ?

Les jeunes hommes du groupe échangèrent des coups d’œil penauds, mais Zelandoni n’était pas certaine qu’ils aient vraiment compris la leçon. Une jeune femme prit alors la parole :

— Et avant ? Nous connaissons nos mères et nos grand-mères. Je suis la fille de ma mère, mais qu’en est-il des hommes ?

Le visage de l’intervenante n’évoqua rien sur le coup à Zelandoni mais, par réflexe, l’esprit acéré de la Première se mit en branle pour la situer. Elle était assise avec le groupe de la Vingt-Troisième Caverne et tant les motifs que la coupe de sa tunique indiquaient qu’elle en était membre et se tenait au milieu de ses amis. Bien que sa tenue la désignât comme une femme et non comme une fille, elle n’en était pas moins à l’évidence très jeune. Elle venait sans doute de subir ses Premiers Rites, estima la doniate. Pour prendre ainsi la parole à un âge aussi tendre au milieu d’une foule importante, il fallait qu’elle soit téméraire et pleine d’impétuosité, ou courageuse et habituée à se trouver en compagnie de gens n’hésitant pas à s’exprimer librement, ce qui sous-entendait un comportement de chef. Le chef de la Vingt-Troisième Caverne était une femme du nom de Dinara. Zelandoni se souvint alors que la fille aînée de cette dernière faisait partie des jeunes filles ayant subi leurs Premiers Rites cette année, et elle remarqua que Dinara souriait à la jeune femme. C’est alors que le nom de celle-ci lui revint en mémoire.

— Rien n’a changé, Diresa, dit la Première. Les enfants ont toujours été le résultat de l’union d’un homme et d’une femme. Ce n’est pas parce que nous l’ignorions jusqu’à présent que ça n’a pas toujours été le cas. Doni a tout simplement choisi de nous le faire savoir maintenant. Elle a dû estimer que nous étions prêts à recevoir cette nouvelle. Sais-tu qui était le compagnon de ta mère quand tu es née ?

— Bien sûr, tout le monde le sait. C’est Joncoran, répondit la jeune femme.

— Eh bien alors, Joncoran est ton père, dit Zelandoni, qui avait attendu l’occasion favorable pour annoncer le mot qui avait été choisi. « Père » est le nom que l’on donne à l’homme qui a des enfants. Pour qu’une vie commence, un homme est indispensable, ce n’est certes pas lui qui porte le bébé dans son ventre, qui lui donne naissance ou qui l’allaite, mais il est capable de l’aimer autant que sa mère. C’est un père. Ce mot a été choisi pour indiquer que si les femmes sont gratifiées par Doni les hommes peuvent désormais se considérer comme Ses préférés.

Cette révélation suscita une vive animation dans l’assistance. Au beau milieu de la foule, Ayla entendit ce nouveau mot répété à de nombreuses reprises, comme si les gens le testaient, s’efforçaient de s’y accoutumer. Zelandoni attendit une fois de plus que le brouhaha se calme un peu.

— Donc toi, Diresa, tu es la fille de ta mère, Dinara, et tu es la fille de ton père, Joncoran. Ta mère a des fils et des filles, tout comme ton père. Ces enfants peuvent l’appeler « père » tout comme ils appellent « mère » celle qui leur a donné naissance.

— Et si l’homme qui s’est accouplé avec ma mère et m’a conçu n’était pas celui qu’elle a pris pour compagnon ? demanda Jemoral, le jeune homme de la Cinquième Caverne.

— L’homme qui est le compagnon de ta mère, celui qui est l’homme de ton foyer, est ton père, répondit Zelandoni sans l’ombre d’une hésitation.

— Mais s’il ne m’a pas conçu, comment peut-il être mon père ? insista Jemoral.

Ce jeune homme va être la source de bien des ennuis, se dit Celle Qui Était la Première.

— Tu ne peux savoir avec certitude qui t’a conçu, mais tu connais l’homme qui vit avec toi et ta mère. C’est plus que probablement lui qui t’a engendré. Si tu n’as aucune certitude quant à l’existence d’un autre homme, c’est probablement parce que celui-ci n’existe pas, et il est inutile de qualifier une relation qui n’a pas d’existence. Le compagnon de ta mère est celui qui s’est engagé à pourvoir à tes besoins. C’est lui qui s’est occupé de toi, t’a entouré de son amour, a aidé à t’élever. Ce n’est pas l’accouplement, ce sont les soins dont il t’a entouré qui font de cet homme ton père. Si l’homme dont ta mère est la compagne était mort, et si elle était devenue la compagne d’un autre, qui t’aurait entouré d’autant de soins et d’amour, l’en aimerais-tu moins ?

— Mais lequel serait mon vrai père ?

— Tu peux toujours appeler « père » l’homme qui pourvoit à tes besoins. Quand tu énumères tes relations, dans une présentation officielle, ton père est l’homme qui était le compagnon de ta mère lorsque tu es né, l’homme de ton foyer. Si celui qui pourvoit à tes besoins n’est pas celui qui était là quand tu es né, tu pourras le désigner comme ton « second père », afin d’établir une distinction entre les deux si c’est nécessaire, expliqua Zelandoni, qui ne regrettait pas d’avoir consacré une nuit d’insomnie à réfléchir à toutes les ramifications en termes de parentèle que cette nouvelle révélation allait entraîner.

Mais la Première avait une autre annonce à faire :

— Le moment est peut-être bien choisi pour soulever un autre problème que je me dois de mentionner : la Zelandonia a estimé que les hommes devaient être inclus dans certains des rituels, certains des usages associés à l’arrivée d’un nouveau bébé, et ce afin qu’ils comprennent et apprécient mieux le rôle qui est le leur dans la création d’une vie nouvelle. Or donc, à partir de ce jour, les hommes choisiront le nom des enfants mâles nés à leur foyer ; quant aux femmes, elles continueront bien sûr à choisir celui des filles.

Cette déclaration reçut un accueil mitigé : les hommes eurent l’air surpris, mais certains d’entre eux se prirent à sourire. À leur expression, Zelandoni constata en revanche que certaines des femmes n’étaient pas prêtes à abandonner cette prérogative consistant à donner leur nom à tous leurs enfants. Personne ne semblait avoir envie d’en faire une affaire sur le moment, et aucune question ne fut posée, mais la Première comprit que le problème n’était pas réglé : il y aurait des suites, elle en avait la certitude.

— Et que dire des enfants nés de femmes qui n’ont pas de compagnon ? demanda une femme d’apparence très jeune qui n’en tenait pas moins un bébé dans ses bras.

Deuxième Caverne, se dit Zelandoni au vu de ses vêtements et de ses bijoux. Était-ce un enfant fruit des Premiers Rites de l’été précédent ?

— Les femmes qui donnent la vie avant de trouver un compagnon sont gratifiées par la Mère, comme celles qui sentent une nouvelle vie grandir en elles au moment où elles en prennent un. Une femme gratifiée d’un enfant apporte la démonstration qu’elle est capable de porter un bébé sain et d’en accoucher, et elle est souvent choisie pour en être de nouveau gratifiée par la suite. Jusqu’à ce qu’elle noue le lien, c’est sa famille, ou sa Caverne, qui pourvoit aux besoins de ses enfants, dont le « père » est Lumi, le compagnon de Doni, la Grande Terre Mère. Rien n’a vraiment changé, Shaleda, dit-elle en souriant à la jeune femme, dont le nom venait de lui revenir. La Caverne pourvoit toujours aux besoins d’une femme qui a des enfants mais pas de compagnon, que ce dernier soit passé dans le Monde d’Après ou qu’elle ne l’ait pas encore choisi. Mais sache que la plupart des hommes trouvent fort désirable une jeune femme qui a déjà un bébé. La plupart du temps, celle-ci ne tarde pas à trouver un compagnon, car elle apporte aussitôt dans le foyer de cet homme un enfant qui fait d’emblée partie des favoris de Doni. L’homme en question devient bien sûr le père de cet enfant, expliqua la Première, qui vit l’adolescente, tout juste sortie de l’enfance, jeter un timide coup d’œil à un jeune homme de la Troisième Caverne qui la regardait avec une adoration éperdue.

— Mais qu’en est-il de l’homme qui est réellement le père ? retentit la voix désormais familière du jeune homme de la Cinquième Caverne qui avait déjà posé plusieurs questions. Celui-ci n’est-il pas l’homme dont l’essence a de fait conçu le bébé ?

Zelandoni remarqua qu’il regardait cette même jeune femme qui, tenant son bébé, était tournée vers un autre homme.

Ah, je comprends, maintenant, se dit la doniate. Cet enfant n’est sans doute pas un fruit des Premiers Rites, mais d’une première passion. Elle était un peu surprise par la facilité avec laquelle elle avait formé l’idée que la conception d’un enfant était provoquée par l’accouplement d’un homme et d’une femme. Tout cela semblait s’ajuster si logiquement maintenant.

Ayla avait remarqué elle aussi le jeune homme de la Cinquième Caverne, ainsi que le manège entre la jeune femme et les deux hommes. Pense-t-il que c’est lui qui a conçu le bébé ? se demanda-t-elle. Et se peut-il qu’il soit jaloux ?

Elle se rendait compte qu’elle connaissait désormais intimement non seulement l’existence de ce sentiment, mais aussi les conséquences extrêmes qui pouvaient en découler.

Je ne pensais pas que ce Don de la Connaissance accordé par la Grande Terre Mère aurait tant d’implications compliquées, se dit-elle in petto. Je ne suis pas sûre du tout que ce soit un cadeau si merveilleux.

— Si une femme qui a un enfant n’a pas encore eu de compagnon, dans ce cas celui avec qui elle noue le lien, qui promet de s’occuper de l’enfant et de pourvoir à ses besoins, devient le père du bébé, poursuivait Zelandoni. Bien sûr, si celle-ci choisit non pas un mais deux compagnons, ceux-ci partagent le titre de « père » à égalité.

— Mais une femme n’est pas obligée de prendre pour compagnon quelqu’un qu’elle ne choisit pas ? interrogea la même jeune femme.

La Première remarqua que le Zelandoni de la Cinquième Caverne était en train de rejoindre l’endroit où était rassemblé son groupe, en amont.

— Bien sûr, répondit-elle. Cela a toujours été le cas, et rien n’a changé.

Voyant que le doniate était allé s’asseoir à côté du jeune homme qui avait posé toutes ces questions, elle se tourna vers une autre partie de l’assemblée.

— Quel nom donner au père de mon père ? interrogea un membre de la Onzième Caverne.

Zelandoni poussa un discret soupir de soulagement. Celle-là était facile…

— La mère d’une mère, mais aussi d’un père, est une grand-mère, le père d’un père, mais aussi d’une mère, un grand-père. Lors des présentations de vos liens, il vous faudra donc préciser : « Ma grand-mère du côté de mon père », « Mon grand-père du côté de ma mère », par exemple.

— Et si on ne sait pas de qui vient l’essence qui a conçu sa mère ? s’enquit le chef de la Cinquième Caverne. Et s’ils passent dans le Monde d’Après, comment désigner les liens ?

— Si tu connais l’homme qui était le compagnon de la mère de ta mère, tu l’appelleras ton grand-père. Même chose pour ce qui concerne ton père. Même s’il se trouve dans le Monde d’Après, ton père aura été conçu par un homme qui se sera accouplé avec sa mère, tout comme ta mère aura été conçue par un homme qui aura déversé l’essence de son organe dans le corps de sa mère, expliqua très précisément Zelandoni.

— NON ! Noooon ! s’écria quelqu’un dans l’assistance. Je ne peux pas y croire ! Elle l’a fait, une fois de plus. Elle m’a encore trahi, juste au moment où je recommençais à lui faire confiance !

Tout le monde se tourna vers l’intervenant : un homme qui s’était levé, dans les tout derniers rangs du groupe imposant de la Neuvième Caverne.

— C’est un mensonge ! Tout cela n’est que mensonge ! Cette femme essaie de vous tromper ! hurla-t-il en montrant Ayla du doigt. Jamais la Mère n’aurait pu lui dire ça ! C’est une menteuse, une malfaisante !

S’abritant les yeux de la main, Ayla releva la tête et reconnut Brukeval.

Brukeval ? Pourquoi crie-t-il ainsi après moi ? se demanda-t-elle. Je ne comprends pas. Que lui ai-je donc fait ?

— J’ai été conçu par l’esprit d’un homme qui a été choisi par la Grande Terre Mère pour s’unir à celui de ma mère, proféra Brukeval. Ma mère, elle, a été conçue par l’esprit d’un homme qui a été choisi par Doni pour s’unir à celui de sa mère à elle. Elle n’a pas été conçue par l’organe d’un animal, par l’essence d’un organe, quel qu’il soit. Je suis un homme, non une Tête Plate ! Je ne suis pas une Tête Plate !

Incapable de poursuivre plus longtemps sur une note aussi aiguë, la voix de Brukeval se brisa sur ces derniers mots et sa plainte s’acheva sur un sanglot déchirant.

Le Pays Des Grottes Sacrées
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